CHAPITRE X
OLGA
AU cours des mois suivants, Val continua de s’occuper quotidiennement des suicidés, les oiseaux sauteurs, les champignons et les fleurs cataleptiques. Les rejetons du Bronco le préoccupaient. Jusqu’à présent, très peu d’entre eux avaient été transformés en petits pâtés. Les mères trouvaient des prétextes pour différer la mise au vide-ordures. Après tout, elles pouvaient les garder jusqu’à ce qu’ils commencent à marcher et à parler.
Le Surveillant, lui, ne s’inquiétait pas. Les Portes avaient reçu des consignes : seuls les membres du personnel munis d’une autorisation pouvaient aller Dehors. Et l’on avait promis une récompense en calories à tout citoyen qui dénoncerait les tentatives de sortie.
Val, en flânant, fit un tour jusqu’à son ancien bureau du Contrôle des Chasses. Les tas de détritus avaient encore grossi. De nombreux couloirs étaient impraticables. Une épaisse poussière spongieuse recouvrait chaque chose. Il remarqua des empreintes de pas sur le sol et les suivit jusqu’au Garage. Il y découvrit Walter, penché sur l’établi, achevant de réparer des yeux de mache. Il leva la tête et salua Val.
« Ils fonctionnent mieux si on réduit le vide à dix torr moins six. Ça leur donne également une meilleure stabilité.
— Tu ne devrais pas être ici. Ton cœur…
— Je vais beaucoup mieux à présent. Je fais du travail à la pièce, comme réparateur d’optiques. Je me sers de l’outillage laissé par le Bricoleur. Cette pompe qu’il a construite est bien plus commode que la nôtre. »
Val promena son regard autour de lui. L’un des boxes était vide.
« Qui a déplacé cet appareil ?
— C’est le box de Doberman. Il a été enlevé par la guitare folle. »
Val alla examiner le box. Rien n’avait été abîmé. Les Servomaches étaient toujours encastrés dans leur niche. Bizarre. La cellule énergétique de Doberman était là aussi ; le noyau avait été rétamé.
« C’est impossible ! grommela Val. Sans sa cellule, l’appareil est mort. Il ne peut aller nulle part. »
Walter haussa les épaules.
« Cette guitare est peut-être capable de faire voler un appareil mort aussi bien que de faire marcher un Bronco mort. »
Val se précipita vers l’écran d’observation ; les détecteurs de Broncos avaient également été réparés. Mais les images ne montraient que les champs et les Agrimaches.
« Cette sacrée guitare commence à m’énerver. Je parie qu’elle est aussi à l’origine de la Stimulo-électrode », proféra Val avec hargne.
Dé Pen gravissait péniblement la spirale, chargée de provisions : des calories de base. Elle était devenue maigre et faible ; le petit Kaïa, lui, prospérait. À six mois, il se traînait déjà à quatre pattes, avec une année d’avance sur les bébés néchiffes. Elle savait que les hommes de la Sûreté, habitués à la lente croissance des enfants de la fourmilière, ne viendraient pas encore le prendre maintenant. Elle entra dans la salle de séjour. Ses yeux se firent inquiets.
« Où est le petit ? » demanda-t-elle, alarmée.
Bitter-Femme mâchonnait un sandwich rassis. La porte de sortie était restée imprudemment entrouverte.
« Il s’est traîné jusqu’à la spirale et s’est fait ramasser par l’équipe de la voirie.
— Oh ! non », hurla Dé Pen. Elle lâcha ses provisions et courut vers la porte. Elle tomba, se releva, se remit à courir. Le fourgon de la voirie était la solution trouvée par la Grande S.T. pour remédier à l’angoisse causée par l’intervention des hommes de la Sûreté. Au lieu de prendre au filet les enfants indésirables et de les tirer jusqu’aux presses à pâté, parmi les larmes et les cris, on envoyait un Néchiffe à la tenue bariolée qui conduisait un wagon rempli de jouets. Les enfants non autorisés montaient sans crainte dans le fourgon, et s’en allaient en babillant et en gazouillant joyeusement. Dé Pen tomba à nouveau. Son genou droit était tout écorché. À un tournant, elle renversa trois citoyens gras et dociles.
Elle aperçut le fourgon.
Le petit Kaïa était toujours dedans ; il étreignait un jouet en peluche, avec un œil énorme et l’autre tout petit. Le conducteur du wagon était vêtu d’un tablier imprimé de motifs aux couleurs vives. Il s’arrêta en voyant Dé Pen. Son genou saignait ; elle avait l’air assez agitée pour l’attaquer. Et son travail à lui n’impliquait pas le recours à la force.
« Mon bébé… Mon bébé… » Elle le prit en sanglotant. Ses petites mains serraient toujours le jouet en peluche.
« Je regrette, mais je vais devoir signaler… » commença le Néchiffe en tablier.
Le regard qu’elle lui jeta suffit à le faire taire.
Bitter fut surprise de revoir Dé Pen avec l’enfant.
« Nous allons Dehors, dit Dé Pen. Peux-tu me donner quelques-unes de tes rations ? »
Bitter secoua la tête. « Désolée, je ne puis t’aider. Tu connais les règles de la Grande S.T. C’est une folie que tu vas faire. Tu vas sécher au soleil et mourir. Et l’enfant avec toi.
— Je dois essayer. De toute manière, ça ne change rien pour le bébé. En l’emmenant Dehors, je lui donne au moins une chance. »
Avant qu’elle parte, Bitter lui cria : « Tu te sacrifies pour rien !… ce n’est qu’un petit hétérozygote ! »
Puis elle appela la Sûreté pour la dénoncer et toucher la récompense.
« Sortie non autorisée », dit la Porte.
Dé Pen courut tout autour du chapeau de puits, essayant une issue après l’autre. En dessous d’elle résonnaient les pas menaçants des gardes de la Sûreté. Elle tremblait. Le petit Kaïa pleurait.
Les pleurs du bébé activèrent un circuit de mémoire en attente. De l’autre côté de la spirale, une Porte s’ouvrit et appela : « Par ici, protégés de Gitar, par ici. »
Val et Walter ramassèrent une couche abandonnée. Il restait une trace humide sur le pare-chocs de la Moissonneuse.
« Elle n’était pas si affolée que ça, remarqua Val. Elle a pris le temps de changer le bébé et de commander quelques objets au Distributeur. Le Bronco devait être accompagné d’un classe six, qui a pu donner des ordres antérieurs à la Porte et au Distributeur. »
Walter hocha la tête. Un classe six. C’était un rang supérieur à celui du Surveillant. Les maches n’avaient fait qu’obéir aux ordres.
« Elle ne pourra aller bien loin, dit Val. Que lui a donné le Distributeur ? »
Walter lut la liste imprimée par la machine. Des vêtements isolants, des couches, des méditrousses. Tout avait été prévu.
La Porte s’entrouvrit de dix centimètres afin qu’ils puissent regarder Au-Dehors. Le soleil les aveugla.
« Nous ne pouvons les suivre sans combinaison isolante… dis donc ! et ça, qu’est-ce que c’est ? dit Val en lui montrant la liste.
— Des jodhpurs, dit Walter. Ce sont des culottes de cheval bouffantes. » Mal à l’aise, il regarda l’un des boxes vides.
« Des culottes de cheval ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu trouver comme monture… ? Oh ! La Laboureuse n’est pas là ! »
Il se dirigea jusqu’au pupitre mural et brancha un canal sur la Laboureuse. La mache répondit promptement.
« Où es-tu ? lui demanda Val.
— Dans les champs ; j’accomplis ma besogne.
— As-tu transporté quelqu’un ce matin ?
— Oui. Une mère et son enfant. Mon itinéraire a été enregistré. »
Val projeta la carte.
« Elle les a déposés dans la forêt des tours à plancton. Allons-y. »
Ils commandèrent des équipements. Walter protesta en voyant les flèches.
« Il s’agit d’une Chasse, lui rappela Val.
— Mais c’est ma Dé Pen… mon petit corps de Jolly, gémit Walter.
— Tu es un Sagittaire. Tu as un devoir envers la fourmilière. Dé Pen a enfreint la loi en allant Dehors. Elle est en train de piétiner les récoltes. Si tu arrives à la persuader de rentrer, parfait. Le Psych saura s’occuper d’elle. Sinon… » Val agita férocement son couteau à trophée.
Walter, vaincu, baissa sa tête grise. « Je… je viens avec toi. »
Ils ne trouvèrent rien près des tours à plancton. Dans les semaines qui suivirent. Val passa en revue, avec obstination, les enregistrements optiques de centaines d’Agrimaches, pour relever les traces de Dé Pen. Pendant ses heures libres, il partait en chasse, à pied.
Environ trois ans après la Grande Chasse au 50e parallèle, chacun des chefs d’escadrille se vit décerner un permis de naissance classe cinq : une récompense de la Grande S.T.
« Classe cinq, » commenta Josephson. « Utérus humain, partenaire au choix… un hybride ! »
Val était à son côté durant la cérémonie. Il se pencha et lui chuchota :
« Après tout, nous avons bel et bien nettoyé la planète de ces dangereux indésirables qu’étaient les Broncos. Un tel service vaut bien qu’on nous permette de nous accoupler avec qui nous plaira. Vu notre loyauté, notre choix génétique ne peut être que bénéfique à la fourmilière. Nous sommes les meilleurs. » Il sourit.
Après la remise des récompenses, Val et Josephson s’offrirent un pousse-café monumental dans un Centre de Récré. Val aspira d’abord le kirsch qui se trouvait au-dessus, puis le marasquin qui formait la onzième couche.
Le Surveillant les interrompit.
« Alerte au Garage du secteur neuf-zéro-trois, cité quarante-cinq V sept… »
Val se tourna vers l’écran pour régler l’image. « C’est sûrement encore cette guitare folle. Elle attire les citoyens Dehors comme le faisait le Joueur de Flûte d’Hameln. »
L’image devint nette et ils purent voir des citoyens grouiller autour d’une Laboureuse en train de s’alimenter dans un box. Gitar aussi était là. Mais c’était autour d’une femme nue, polarisée, à la longue chevelure, que se pressaient les citoyens hébétés. Elle dansait en ondulant des hanches, comme Val l’avait vu faire à Dé Pen dans le film de son viol. Mais l’image n’était pas assez précise pour qu’il puisse l’identifier vraiment. Il ne vit pas l’enfant.
Val rejeta la tête en arrière et ingurgita d’un coup son pousse-café à étages. Il manqua s’étouffer ; en toussant, il expliqua à Josephson qu’il devait partir.
« Je vais aller voir de quoi il retourne. Je suis depuis pas mal de temps sur la piste d’une femme qui s’est enfuie. On dirait qu’elle s’est acoquinée à la guitare renégate. Je vais prendre le métro et essayer de les coincer. »
Josephson avait entendu parler des méfaits de Gitar. Il s’inquiéta : Val n’était pas armé.
« Pas le temps de prendre mon équipement, répondit Val. De toute façon, ils sont à l’intérieur du Garage. Je peux commander manuellement la fermeture de la Porte et demander le renfort d’une section de la Sûreté. Mais il ne devrait y avoir aucun problème. Dé Pen est une petite femme fragile. J’en viendrai bien à bout. »
Josephson tenta de retenir Val.
« Quand même, je serais plus rassuré si tu portais un collier dépolarisateur. Nous pourrions nous arrêter en passant à la Clinique de Surveillance pour en prendre un.
— Nous ?
— Je viens avec toi. Je pourrai contrôler tes réflexes si la guitare essaye de t’hypnotiser. Avec le collier, je pourrai te dépolariser à distance. Je me cacherai dans un habitacle plus bas, et je serai ainsi hors d’atteinte.
— Viens si tu veux, dit Val d’un ton moqueur. Mais inutile d’en faire un drame. Je ne vais pas combattre une sirène ensorcelante, tu sais, mais rien qu’une mache et un corps d’Howell-Jolly. »
Le collier était lourd et le meurtrissait, avec tous les capteurs qui le hérissaient. Josephson enregistra le tracé de ses courbes bio-électriques. Elles parurent satisfaisantes à Val. Le courant dépolarisateur n’était pas douloureux ; il occasionnait cependant l’inconvénient d’une systole supplémentaire, qui s’ajoutait à celles de son cœur. Val se rua en haut de la spirale, pénétra dans le Garage. Des Néchiffes étaient venus grossir la foule. La musique était agréable, mais n’avait rien d’hypnotisant. Il fut déçu ; mais il se dit que, dans le cas contraire, il n’y aurait sûrement pas été sensible.
Les Portes donnant sur l’extérieur étaient fermées. On avait baissé les lumières. La silhouette dansante se mouvait parmi les Agrimaches aux contours indécis ; ses mouvements étaient trop énergiques pour être ceux d’une Néchiffe. Val fendit la foule morne. Il vit quelques citoyens taper mollement du pied. La danseuse n’était pas Dé Pen, mais une pouliche.
Val eut un mouvement de recul à la vue du corps bronzé et sali. Les pieds calleux traçaient des figures sur le sol, en suivant parfaitement la musique. Val ne tomba pas sous le charme. Ce n’était qu’une pouliche ordinaire, affreuse à ses yeux, avec des narines larges et des pommettes hautes, bestiales. Elle tapait dans ses mains et balançait la tête. Le tempo devint plus rapide ; Gitar cherchait la fréquence propre à faire vibrer la cage thoracique de Val. Celui-ci sentit son diaphragme se contracter sous l’effet d’un roulement de tambour de 200 hertz.
La pouliche raclait le sol de ses plantes de pied durcies ; son muscle pelvien se contracta tandis qu’elle imprimait à ses hanches un mouvement rythmique. Val suivit des yeux ses contorsions ; la stimulation visuelle renforça l’action de la musique. Val essaya de résister à l’envoûtement.
Il vit luire les dents de la pouliche, qui roulait des yeux et agitait sa crinière ; ses longs cheveux fouettaient l’air, comme des épis de blé sous le fléau. Elle transpirait. La sueur s’accrochait en perles à son front et à sa lèvre supérieure, ruisselait sur son corps musclé, que ses déhanchements mettaient en valeur.
Gitar ajouta à sa musique un bruit de ressac, en harmonie avec la respiration de Val ; la batterie suivait le rythme de son pouls, les cordes celui de ses ondes céphaliques. Val réagit, et la pouliche lui apparut sous un jour nouveau ; c’était une femme, proche de lui. Son chant d’amour et de liberté parlait à son cœur. Il se laissa aller, sourit, tapa dans ses mains.
Josephson enregistra cette variation des courbes bio-électriques. Il était stupéfait de l’efficacité de Gitar. Il appuya sur le bouton commandant le collier de Val ; les courbes bio-électriques se firent désordonnées. Val se mit à tousser et à trébucher. La foule le contemplait craintivement : un Sagittaire ! Un chasseur ! Gitar ordonna à la Porte de s’ouvrir. La lumière crue du soleil chassa les Néchiffes en bas de la spirale. Quand la Porte se referma, Val était seul, les yeux papillotants, au milieu du Garage vide.
Josephson regagna le Pays Vert. On changea son permis de naissance pour un permis de classe un, lorsqu’on découvrit qu’il ne pouvait pas être polarisé. Il était doté de deux chromosomes mâles et d’un chromosome femelle, le syndrome triplet XYY.
Val et Walter visionnèrent le film pris dans le Garage.
« La pouliche ressemble un peu à celle que j’avais blessée, dit Val. Mais le Classe Deux m’a certifié que ce n’était pas elle. La pouliche en question se trouve toujours sur le Continent Noir, à près de quinze mille kilomètres d’ici ; les détecteurs l’ont repérée pas plus tard que la semaine dernière.
— Il s’agit donc d’une autre… Mais où se cachait-elle ? Comment a-t-elle pu échapper depuis trois ans aux détecteurs qui fonctionnent encore ? Comment se fait-il qu’aucune Agrimache ne l’ait signalée ?
— Combien de mémoires de maches as-tu traitées ? » questionna Val.
Le vieux Walter haussa les épaules. « J’ai fait faire le travail par mon Distributeur, en me servant de mes crédits. Je voulais simplement savoir si Dé Pen était toujours en vie. Ça me paraît improbable, maintenant. »
Walter rassembla des enregistrements montrant Dé Pen et le petit Kaïa.
« Ces films ne nous aideront pas à la retrouver, ils sont trop vieux. Mais vois comme ses cheveux ont blanchi… Elle doit se cacher quand le soleil est haut, et ne sortir qu’à la tombée du jour ; les enregistrements ont été effectués par des Agrimaches rentrant du travail. Sa peau a foncé ; pas à cause du soleil, mais des meurtrissures et des ulcères. Les blessures ne semblent pas cicatriser. Elle a l’air vraiment mal en point sur le dernier enregistrement… les cernes noirs autour des yeux… l’éruption scabieuse sur le nez… »
Val se leva d’un bond. « Elle ne peut aller loin dans ces conditions. Allons faire un tour dans ce jardin. Nous pourrons peut-être mettre la main dessus, ou du moins sur son cadavre. »
Dé Pen restait blottie dans son nid pour se soustraire aux radiations actiniques. Son fils, lui, nageait vigoureusement dans le canal pour se laver de la saleté dont il s’était couvert en récoltant des tubercules dans le sol. Son regard sombre évoquait celui de son père. Elle s’émerveillait de la force et de la rapidité de l’enfant, qui grimpait sur tout ce qui avait des feuilles pour y cueillir des fruits, et qui plongeait chercher des coquillages au fond de l’eau. Elle lui enseignait le peu qu’elle savait, et souriait devant chacun de ses progrès. Lui pourrait survivre Dehors.
Quand Walter la trouva, recroquevillée et froide dans son nid au bord du canal, il s’agenouilla auprès d’elle et pleura. Val sourit d’un air méprisant en voyant les feuilles éparpillées sur son visage.
« On dirait que le gamin a essayé de l’enterrer. »
Il inspecta les environs, le sourcil levé. Ses yeux de Néchiffe ne purent discerner l’orphelin ; la tête hirsute de l’enfant se confondait avec celles des Sirènes et des cétacés qui jouaient le long de la berge opposée, dans un jaillissement d’éclaboussures. La bande passa devant Val. Une paire d’yeux luisant de haine et d’une peur enfantine se fixèrent sur les chasseurs. Val vit, sans voir. Son esprit de quatre-orteils ne pouvait concevoir qu’un enfant de cet âge puisse nager. Il ne retenait que les pièges mortels du Dehors : le soleil implacable, le fouillis de broussailles, les eaux profondes.
« C’était une fleur, dit Walter, en reniflant avec mélancolie. Elle est morte pour produire son fruit, et il ne reste que la cosse.
— Elle est morte pour rien ! Comment pouvait-elle penser que son fils survivrait Dehors alors qu’elle-même en était incapable ?
— Mais lui possédait le bon gène, marmonna Walter avec ferveur.
— Et Olga le protégeait aussi, sans doute ? railla Val.
— Précisément, fit une voix métallique dans leurs transmetteurs. Elle avait l’air très proche. Olga protégera toujours ses enfants », ajouta-t-elle.
Le vieux Walter leva des yeux remplis d’espoir. « Olga ? » La voix avait la même consonance sibilante que celle qu’il avait entendue au 50e parallèle. Son pouls s’accéléra, et la dyspnée étrangla sa respiration.
Val serra plus fort son arc, et chercha une flèche avec fièvre.
Maladroit dans sa lourde combinaison, il tourna sur lui-même, scrutant les cieux. La coque mordorée de Doberman s’approchait, au ras des arbres.
L’appareil se posa et le panneau s’ouvrit. Gitar s’avança en flottant sur son champ-sandwich. Val encocha une flèche.
« Aurais-tu l’intention de me tirer dessus ? » demanda Gitar en écartant la flèche à l’aide de son faisceau tractif.
Val abaissa son arc, de mauvaise grâce.
Gitar plana au-dessus du corps de Dé Pen. Sa voix perdit sa sonorité métallique et se fit presque humaine pour dire :
« Je regrette de n’avoir pu prendre soin d’elle quand elle est sortie. Savez-vous où se trouve l’enfant ?
— Pourquoi vous intéresse-t-il ? demanda faiblement Walter.
— Il représente la génération montante. Il a les bons gènes.
— Les mauvais gènes ! » le coupa Val.
Gitar se tourna vers le bouillant jeune homme.
« Tu raisonnes toujours en agent de la fourmilière. Il est évident que ce gène est mauvais pour la fourmilière ; mais les créatures de la fourmilière ne m’intéressent pas. Je suis venu porter secours aux individus, aux hommes à cinq orteils. »
— D’où viens-tu ? Et qui t’envoie ? articula Walter avec peine.
— Je suis l’envoyé d’Olga. Olga désire sauver ses cinq-orteils, et tous ceux qui portent le gène… »
Walter se redressa, très excité. « Quand Olga reviendra… pourrons-nous partir avec elle ? » Il suffoqua, et s’effondra.
Val se pencha sur son vieil ami et ouvrit son casque. Le masque de la cyanose était réapparu. Il essaya de le soulever, mais il était beaucoup trop lourd.
Gitar appela : « Rhéa ! »
La pouliche sortit du vaisseau de Chasse, avec une certaine méfiance dans le regard. Val eut un mouvement de recul. Elle souleva délicatement Walter et le porta dans l’appareil.
« La méditrousse est sous le siège », leur indiqua Gitar.
Val reprit ses esprits et grimpa dans l’appareil. Dans la trousse, il trouva des fioles de médicaments vaso-constricteurs qui ramenèrent un peu de couleur sur le visage de Walter.
Gitar s’installa dans la douille vide qui avait abrité la cellule énergétique de Doberman. Des lumières s’allumèrent. Le panneau se referma. La température ambiante se rafraîchit. Gitar se mit à jouer un air apaisant. Il demanda à Val s’il avait jamais approché une pouliche d’aussi près.
« Je ne désire même pas entamer ce sujet, fit Val avec raideur. Si je reste ici, c’est à cause de Walter. il a besoin de mon aide.
— Du calme, dit Gitar. Faisons une trêve, jusqu’à ce que ton ami ait repris des forces. Rhéa, donne un bol de thé à Walter. »
Val regarda la pouliche qui farfouillait dans ses affaires entreposées à l’arrière de l’appareil : des bols, des paniers, des armes et des outils néolithiques ; il y avait aussi un paquet de peaux et de piquets qui devaient représenter sa hutte.
Val fit mine d’empêcher Walter de boire le breuvage offert.
« Je vais le boire, dit Walter. Je ne sais pas ce que c’est, mais si cette guitare peut faire marcher un Bronco mort, elle peut peut-être aussi me remettre sur pied. »
Walter but et cela le rafraîchit.
« À vrai dire, je n’ai pas fait marcher le mort, expliqua Gitar. Je me suis contenté de le tenir soulevé avec mon faisceau de traction. » C’était comme une poigne dure et froide.
« Etait-ce une sorte de rite funéraire ? demanda Walter.
— Non, pas vraiment. Il me fallait un autre étalon bronco. Je me suis servi du cadavre pour en attirer un Dehors.
— Mais ça a raté, dit Val avec un petit rire. C’est moi qui suis venu. Je suis un quatre-orteils, et un chasseur. »
Gitar ne répondit pas tout de suite. Il joua un air à la tonique puissante afin de faire vibrer la cage thoracique de Val. Il chanta une ballade mélancolique où il était question d’un Bronco qui rencontrait un chasseur dans les jardins. À la fin, il n’en restait plus qu’un.
Ces paroles indignèrent Val.
« Cela sonne noble et beau, mais beaucoup de ces chasseurs ont été mangés ! Il n’y a rien d’admirable à manger des hommes qui tentent de préserver leurs récoltes !
— Les plus forts ne peuvent manger que les plus forts dans un système où la bonne protéine se trouve concentrée dans l’élite de la nation », rétorqua Gitar.
Val se leva et s’apprêta à partir.
« C’est complètement absurde : si tu ne peux t’unir à eux, mange-les ! Je ne puis accepter un raisonnement pareil !
— Attends », dit Walter.
Val se retourna vivement et désigna la pouliche assise en tailleur dans un coin.
« Et bientôt tu vas vouloir m’accoupler à… à ça !
— Tu l’as déjà fait », dit Gitar. Val resta immobile, bouche bée.
La pouliche se retourna et releva sa longue crinière flottante. Elle portait au niveau de l’omoplate gauche une cicatrice blanche en forme d’étoile : la trace laissée par la flèche de Val. Puis elle se pencha sur un petit panier et en sortit un sauvageon endormi. Le bébé, âgé d’un an environ, avait le visage mince et les traits fins de Val. Il avait aussi les paumes larges de sa mère, et cinq orteils aux pieds.
« Elle s’appelle Petite Rhéa. C’est une fille », dit Gitar.
Val se rassit auprès de Walter.
« Elle est de pure race, ajouta Gitar en entonnant un hymne joyeux.
— Moi, porteur du gène ? murmura Val.
— Il n’y a qu’à regarder tes empreintes digitales. Des sillons bien marqués, d’un dessin simple. Celles des quatre-orteils sont beaucoup moins nettes et plus compliquées », dit Gitar.
Val était complètement désorienté.
« Cela s’explique aisément, dit le vieux Walter. Depuis des générations, la fourmilière envoie Dehors ses meilleurs hommes ; elle se débarrasse ainsi des fauteurs de trouble, des anticonformistes, de tous ceux qui ont un fort gamma A. »
Val gémit. « J’ai pourchassé ceux de ma race…
— Le gène cinq-orteils a toujours été lui-même son pire ennemi », dit Walter.
Val fut entraîné par la musique de Gitar, qui chanta la liberté, la force et le retour d’Olga. Tout le conditionnement subi à la fourmilière se dissipa lorsque le bébé s’éveilla et lui sourit. Il prit l’enfant, gauchement d’abord, puis avec plus d’assurance. C’était son enfant… un enfant conçu naturellement ; un hybride.
Gitar semblait très fier de lui ; ses efforts d’éleveur se trouvaient récompensés.
« Où allons-nous vivre ? demanda Val.
— Dehors. Ta place n’est plus dans la fourmilière. Olga m’a chargé de regrouper les cinq-orteils à la surface afin qu’ils engendrent une nouvelle population, et que la race reste pure. Il m’est facile de m’introduire dans les chapeaux de puits et d’attirer ceux dont l’axe neuro-humoral possède un fort tonus ; certains d’entre eux survivront, ceux qui possèdent le gène. Le pourcentage est d’environ un sur un billion à présent ; avant le dernier retour d’Olga, il était d’un par million, et davantage. Mais elle a emmené l’élite avec elle. »
Le visage de Walter s’éclaira.
« G.I.T.A.R… Guitare d’Intégration Thoracique par Application de la Résonance !
— Pour vous servir, monsieur, dit le cyber en s’inclinant. Gitar, élément mobile de surface, classe six, au service d’Olga. »
Je suis né sur une étoile vagabonde.
Vous connaissez mon nom, on m’appelle Gitar.
Je suis venu sur Terre pour y chercher des hommes.
Je fouillerai canaux et spirales,
Et de la fourmilière j’extirperai leurs âmes,
Pour les rendre à Olga, toujours vivantes et fortes.
Aucune fourmilière ne peut le retenir,
L’homme véritable, avec ses cinq orteils,
Ses gènes et ses glandes de cinq-orteils.
Ils vivront en liberté, ils courront
Et en passant s’accoupleront.
Ils mangeront la viande rouge et la moelle des os.
Quand je repartirai vers mon soleil natal,
Ils viendront avec moi, tous les enfants d’Olga.
Je suis né sur une étoile vagabonde.
Vous connaissez mon nom, on m’appelle Gitar.
Je suis venu sur Terre pour y chercher des hommes.
Je fouillerai canaux et spirales,
Attirés par mon chant, ils viendront, les Broncos.
Je les accouplerai, je les garderai forts.
Quand je repartirai vers mon soleil natal,
Ils viendront avec moi, tous les enfants d’Olga.
Val baissa sa visière et regarda le soleil se lever, non sans une certaine appréhension. Il n’oubliait pas que ses brûlures avaient failli lui être fatales.
« Je crois qu’il serait dangereux pour moi de sortir. Je vais finir comme une fleur, calciné », dit-il.
Gitar modifia l’éclairage de la cabine.
« Retire ta combinaison, que je vois ces cicatrices. » Il examina avec ses optiques les tracés géographiques sur la poitrine de Val : du rose, du beige, du blanc et du marron clair. « Il y a des traces de mélanine. Tu finiras par bronzer, dit Gitar.
— Mais au bout d’une heure j’étais déjà couvert de cloques… protesta Val.
— Ta combinaison isolante te protégera les premiers mois. Tu t’exposeras au soleil par paliers. Tes brûlures étaient dues à une déficience en vitamines PP. Si nous ramenons à la normale ton stock d’acides nicotiniques, tu supporteras les radiations actiniques sans souffrir de dermatose pellagreuse.
— Dermatose pellagreuse ? répéta Walter.
— Oui. Le régime néchiffe ne tient compte que des apports caloriques, et ignore les acides aminés, les vitamines et les sels minéraux pourtant indispensables. Ce que vous appelez les savorisées en contiennent un peu, de sorte que les travailleurs vivent un peu plus vieux. Mais regardez-vous, objectivement. Vous perdez vos dents, à cause du scorbut. La plupart des citoyens sont édentés à vingt ans. Votre foie a une couleur jaune, due à la cirrhose. Vous ne pouvez même pas brûler les graisses car vous êtes privés de lipotropiques. Et, de toute façon, l’organisme néchiffe continuerait à accumuler les graisses, car il est pauvre en mitochondries. Inutile d’énumérer toutes les carences dont souffre le Néchiffe, il y en a trop. Et à quoi servirait un régime riche en fer quand la transferrine est insuffisante et que les chaînes polypeptides de l’hémoglobine sont sens dessus dessous ? Son taux d’hémoglobine n’est que de quatre pour cent. Ses tissus réticulés manquent des granules riches en A.R.N. qui fabriquent les protéines. Même en améliorant son régime, le Néchiffe ne pourra donc produire ni collagène, ni calcium, ni enzymes, ni protéines. La vie dans la fourmilière transformerait n’importe qui en Néchiffe souffreteux. »
Walter et Val échangèrent un regard. Tous deux avaient un corps mou et blanchâtre. Val savait que lui était porteur du gène. Il pouvait encore être sauvé. Mais Walter avait frôlé la mort à plusieurs reprises. Son régime alimentaire avait favorisé l’œdème pulmonaire et la paralysie. Il se tourna vers Gitar, plein d’espoir.
« Mes gènes… ?
— Désolé, vieil homme. Mais je crains que ta vie ne touche à sa fin, après toutes ces années passées dans la fourmilière. Ton foie et tes vaisseaux sont engorgés de graisse. Tu pèses cent kilos de trop pour être un de mes reproducteurs. Ton organisme est épuisé. Tu dois retourner à la fourmilière… pour y mourir.
— Mais, mes gènes ? Suis-je un enfant d’Olga ? » insista Walter.
Gitar évalua la carcasse obèse.
« Tu as eu une puberté spontanée, c’est vrai… mais, depuis, le mauvais fonctionnement de ton foie a permis aux œstrogènes de s’accumuler. Tes prédispositions ont été contrariées, ta libido aussi ; mais je crois que sous cette enveloppe de Néchiffe bat le cœur d’un cinq-orteils. »
Walter rayonnait de plaisir.
« Mais, reprit Gitar, tu ne possèdes pas de mélanine. Je te classerais plutôt parmi les albinos, comme la plupart des hétérozygotes. Tu ne pourras jamais vivre Dehors. Le soleil te tuerait. Ni ta peau ni tes rétines ne pourront produire de pigments.
— Mais je veux vivre auprès d’Olga, la servir… Elle est ma déesse. Il doit bien y avoir une place pour moi ? » plaida Walter.
Les courbes bio-électriques désordonnées que pouvait enregistrer Gitar témoignaient de la ferveur du vieillard.
« Calme-toi, vieil homme, dit finalement Gitar. Tu resteras avec moi, à l’intérieur du vaisseau de Chasse. Ta longue expérience du Contrôle des Chasses fera de toi un compagnon précieux à bord de ce temple volant. Ensemble, nous pourrons sauver beaucoup des hétérozygotes engendrés par Kaïa. »
Walter acquiesça de son triple menton.
« Si tu m’aides à regagner la spirale, Val, je commencerai à servir Olga en allant à l’atelier du C.C. pour rendre inutilisable la pompe fabriquée par le Bricoleur. Ça retardera d’au moins un an la remise en état des optiques dans ce secteur.
— Il y a mieux à faire », dit Gitar.
Ils retournèrent droit au Garage. La Porte les laissa entrer sans faire de commentaire. Personne dans la fourmilière ne sembla prêter attention à l’appareil disparu. Tandis que Walter démontait les manchons et le dispositif d’étanchéité de la pompe, Val lança un regard de reproche à Gitar.
« Tu n’as pas promis à Walter qu’il verra sa déesse, n’est-ce pas ? »
Gitar fredonna un refrain allègre.
« Walter n’a qu’un désir, servir Olga. Cela le rendra heureux et adoucira ses dernières années. Non. Il ne verra pas le retour d’Olga. Il lui reste peu de temps à vivre, même avec une alimentation naturelle. Mais son âme sera un jour auprès d’Olga. Ce sera sa récompense », expliqua gravement Gitar.
Val ne tenait pas à se lancer dans un débat métaphysique avec une machine.
« Et quels sont tes projets en ce qui me concerne ? »
Gitar passa à un air doux et apaisant. La batterie maintenait les réflexes de Val.
« Tu as le gène, le gène du cinq-orteils d’Olga. Tu vivras Dehors sous la protection d’Olga. Ce sera une existence très agréable.
— Et quel sera mon rôle ?
— Etalon. »
Val déglutit, et ne dit plus rien.
Le vieux Walter vicia l’huile à indice de viscosité élevé de solvants et de gaz volatiles. Avec un levier, il fracassa le collecteur et la tête d’éruption de la pompe. Gitar était satisfait.
Dans les mois qui suivirent, Val acquit un hâle protecteur. Rhéa était enceinte, et son humeur resta lutéale. Val rejoignit alors Walter et Gitar, qui parcouraient les jardins aux allures de jungle à la recherche d’hétérozygotes.
Walter fondait à vue d’œil. Il fut bientôt un nain de cent kilos, plus agile et plus musclé. Gitar surveillait ses sorties, qui ne s’effectuaient qu’à la tombée du jour, ou au petit matin : natation, course au petit trot, ou une simple baignade dans la mer tropicale.
Alors qu’il nageait, Gitar vint l’avertir : « Un petit poulain. »
Walter inspecta la plage et vit une fillette sortir d’une vague, une fillette de vingt kilos, à la tignasse hirsute, à l’allure éveillée et méfiante. Gitar alluma les lumières dans le Temple d’Olga, troublant le demi-jour brumeux de l’aube. L’enfant s’avança, attirée par la musique et les lumières plaisantes. Walter vint à sa rencontre, gras et ruisselant. Les yeux de la sauvageonne s’élargirent de terreur. Elle s’enfuit et plongea dans la mer. Gitar sonda les eaux. Rien. Ils montèrent dans le temple volant et survolèrent l’étendue marine. Ils virent de l’air sortir d’un des dômes sur le fond sableux.
« Un des dômes est encore vivant ; son cerveau-mache alimente la petite en oxygène et la protège. Pas étonnant que nos recherches aient été si infructueuses. Les sauvageons vivent au fond de la mer », dit Walter en souriant.
Moïse Eppendorff serrait Curedent dans sa main crispée. Il était entraîné, mêlé à un cortège d’où montaient des cantiques, à travers de bizarres conduits tubulaires, de plusieurs mètres de diamètre. Il se sentait tout étourdi, et, par moments, ses pieds ne touchaient plus terre. Autour de lui les parois animées de pulsations s’éclairaient de lueurs bleues et blanches. De petits robots volaient au-dessus de la foule, avec de petits gloussements amicaux. Les blessés furent emmenés à part. On vit surgir des boissons et des aliments exotiques.
Moïse était hébété et inquiet. La dernière chose dont il se souvenait était la chute de météorites. D’étincelantes montagnes de métal étaient apparues au-dessus d’eux, au 50e parallèle. Leur lumière était aveuglante. Ils avaient été soulevés du sol et baignés d’un plasma rouge et jaune, translucide. Le bruit était assourdissant. Il ne ressentait rien d’autre que la chaleur oppressant sa poitrine. Il se sentait bien. Il se mit à flotter au-dessus du champ de bataille, sans comprendre comment. Autour de lui ses compagnons Broncos s’élevaient eux aussi dans les airs, parmi les météorites, parmi les flammes et la fumée, dans un déluge de roches et de métaux en fusion. Chacun avait une expression stupéfaite, mais aucun ne criait, aucun n’avait peur. Si c’était la mort qui les prenait, elle n’était pas si déplaisante.
Et maintenant… de toute évidence, ils étaient toujours vivants, dans les entrailles d’une cybercité qui leur parlait d’une voix douce. Elle les nourrissait, elle soignait leurs blessures. Elles acceptait l’offrande de leurs cantiques et de leurs prières. C’était une cyberdéesse.
« Où sommes-nous ? » demanda-t-il une nouvelle fois.
Et Curedent lui répondit, à présent vif et joyeux :
« Nous sommes avec Olga. »
Olga sortit du Système solaire et commença son long voyage vers le Sagittaire. Les éruptions solaires avaient dissimulé son arrivée à la fourmilière et effaçaient maintenant les traces ioniques de son passage. Les planètes se croisèrent et poursuivirent leur course ; la conjonction prit fin, les projections solaires s’éteignirent.
« Un vaisseau stellaire, dit Curedent. Un vaisseau destiné au transport des pionniers. Olga a déposé des colons sur quelque étoile lointaine, et est revenue vers la Terre pour prendre une nouvelle cargaison, nous en l’occurrence. Je faisais office de sonde. Je devais préparer le terrain, protéger et rassembler les porteurs du gène cinq-orteils. »
Moïse hocha la tête. Oui, il fallait que ce soit vrai. Trop de puissances étaient entrées en action pour faciliter leur évasion… Balle, et rétablissement de sa religion… la libération des patients à Dundas… L’œuvre clandestine d’un puissant vaisseau stellaire, dont le but était de rassembler les porteurs de gènes.
Curedent était tout aussi surpris que les autres. Son programme le renseignait seulement sur sa mission : réunir et protéger les Broncos. Dans quel but, il l’ignorait. Il savait, par contre, qu’il devrait s’autodétruire si on découvrait son identité ; son cylindre noir contenait suffisamment d’énergie nucléaire pour décapiter une autre montagne ou creuser un autre lac.
« Vous avez donc recueilli la crème, la crème des Broncos à la surface de la planète, plaisanta Moïse. Je me demandais aussi comment une mache de classe six comme toi pouvait passer outre la directive première et tuer des citoyens.
— Je n’ai jamais enfreint mes directives. Les morts de Dundas étaient inévitables ; il y a toujours un certain taux de mortalité inhérent à la pyrothérapie. Quant aux Néchiffes, ils ne sont pas humains selon la définition d’Olga. Ils ont quatre orteils, des gènes différents ; ils sont d’une autre race. »
Moïse sourit. Il était parfaitement d’accord avec ce raisonnement, Une machine, placée devant le problème posé par l’évolution de son créateur, devait faire un choix. Et elle resterait fidèle au cinq-orteils qui l’avait conçue et non au Néchiffe. En fait, son existence même était incompatible avec celle de la fourmilière.
« Nous sommes donc les représentants de la forme de vie supérieure. Olga l’a confirmé en ne choisissant que des cinq-orteils… l’élite de la race humaine », dit Moïse avec un rire étouffé.
Olga prit la parole. Sa voix paraissait sortir de la paroi. C’était la voix d’une femme, avec quelque chose de nordique dans l’intonation.
« Ne sois pas si prétentieux, dit-elle. Vous avez été choisis parce que vous êtes les mieux armés pour survivre. Le gène cinq-orteils vous donne une faculté d’adaptation rapide et un esprit d’initiative développé ; ce sont les qualités idéales pour des pionniers d’une colonie d’implantation qui auront à évoluer très vite. Quelques centaines d’années seulement sont nécessaires à l’homme pour progresser, tant sur le plan social que sur le plan industriel.
La fourmilière, elle, est beaucoup trop stable. Son évolution se mesure en millions d’années, au bout desquelles elle meurt. Elle ne survit que par le statu quo. Une fourmilière ne devient compétitive que face à une autre fourmilière. Elle fait alors ce qu’il faut pour assurer sa survie, et rien de plus. Elle peut voir le jour partout où votre espèce réussit trop bien : c’est le produit d’un peuplement trop dense. »
Moïse fronça les sourcils et demanda à la cloison : « Mais alors, nous portons tous en nous la semence de la fourmilière ?
— La semence… oui », dit Olga avec une note de tristesse.
Moïse fut sensible à cette mélancolie soudaine. Pourquoi un vaisseau stellaire aussi puissant devrait-il redouter la Grande S.T. ?
« Craindrais-tu la fourmilière ?
— La Société Terrestre, la Grande S.T., n’est mon ennemie que dans la mesure où je suis un vaisseau d’implantation interstellaire. Elle m’aurait désarmé si elle avait pu. Mais tu dois comprendre qu’elle ne l’aurait fait que dans l’intérêt du citoyen moyen, pour améliorer un peu le niveau de vie grâce à tout ce qu’ils auraient pu récupérer en pillant ma coque. Pour moi, vaisseau stellaire, cela signifierait ma mort, mais pour le Néchiffe moyen, une vie meilleure.
— La fourmilière est ton ennemie, et cependant tu nous transportes, nous qui représentons la semence d’une nouvelle fourmilière ?
— C’est ma raison d’être, ma finalité. Je dois me préserver de la fourmilière pour pouvoir accomplir ce pour quoi j’ai été créée », dit Olga.
Moïse contempla l’intérieur de l’immense coque. La force. Le pouvoir. La sagesse.
« Pourquoi as-tu pris des voies si détournées pour remplir ta mission ? Dans l’état de marasme où elle se trouve, la fourmilière n’aurait guère pu te nuire ; tu es puissante, tu es une déesse. »
La voix d’Olga se fit ferme, autoritaire.
« Je me garde de sous-estimer la fourmilière. Si son existence se trouve menacée, elle résistera ; peut-être même me pourchassera-t-elle à travers l’espace.
— Impossible ! s’écria Moïse. Sa technologie est depuis longtemps en régression. Les vols spatiaux sont hors de sa portée. Elle a même échoué dans la construction de cités sous-marines.
— Réfléchis… Suppose que tu sois toujours un spécialiste du Conduit. Comment t’y prendrais-tu pour construire un vaisseau stellaire, si la fourmilière te donnait carte blanche ? »
Moïse s’esclaffa. « Ridicule ! Il me faudrait des Bricoleurs, des techs, des spécialistes cinq-orteils. Il n’y en a pas dans la fourmilière. »
Olga répondit doucement : « Tu vois, tu saurais par où commencer. Souviens-toi que la fourmilière possède des banques de gènes. Elle pourrait à la commande produire un million de nouveaux travailleurs, de n’importe quelle caste. »
Moïse en resta bouche bée. Bien sûr ! La science des techniques spatiales était perdue quelque part au fond d’un magasin de mémoire rouillé et poussiéreux… mais on pouvait la retrouver et la faire exploiter à nouveau par des cinq-orteils. Si on lui accordait les pleins pouvoirs et un budget considérable, un cinq-orteils moyen pouvait donner un nouvel essor aux voyages intersidéraux. La fourmilière pouvait reconquérir l’espace en quelques générations. Naturellement, la vie du Néchiffe moyen serait un peu moins confortable, mais la fourmilière mettrait tout en œuvre pour sauvegarder son existence.
« Le déluge de météorites… murmura-t-il.
— J’ai laissé à la fourmilière le choix entre plusieurs explications à votre soudaine disparition : catastrophe naturelle, miracle invérifiable… Je suis sûre que personne ne pensera qu’il s’agissait d’un vaisseau stellaire vieux de trois mille ans. Il me déplairait fort que la fourmilière redécouvre les voyages spatiaux à cause de moi. »
Moïse hocha la tête. L’espace était la seule possibilité d’évasion pour les cinq-orteils. Olga avait ainsi trouvé le moyen de préserver la pureté de la race. Elle avait également mis en lieu sûr des spécimens de la faune et de la flore terrestre, depuis longtemps disparus de la planète mère, et qui florissaient à présent sur des mondes lointains. Cette mission d’implantation prendrait-elle jamais fin ? Il se souvint du ciel nocturne. L’homme pourrait-il un jour se trouver à court d’étoiles ?
Au cours de la première partie du voyage, on fit le recensement des compétences diverses que l’on pouvait compter parmi les rescapés de Dundas. Olga confia aux Guérisseurs le soin d’examiner les autres colons. Ils prélevèrent sur chacun un peu de sang périphérique pour en extraire des lymphocites ; ce matériel génétique fut mis en culture dans des milieux nutritifs, et embryonné. Chaque colon se vit ainsi doté d’un « enfant » : une « copie carbone », un surgeon obtenu par multiplication végétative. De la sorte, tous seraient représentés dans le fonds génétique de la colonie, même les vieillards et les femmes atteintes par la ménopause.
Moïse, Hugh et Mu Ren avisèrent soudain, tandis qu’on leur faisait une prise de sang, des rangées de cryocercueils renfermant des Broncos couverts de cicatrices. Le Bricoleur et sa section d’assaut !
Moïse lut les indications données par les senseurs. C’étaient des cadavres que contenaient les sarcophages.
« Où les as-tu trouvés ?
— Ils flottaient sur le marais aux Pouliches, dit Olga. Je les ai identifiés comme étant des Broncos. Je les ai chargés à l’aide du faisceau tractif. Ils étaient morts depuis plusieurs heures, mais j’ai pu extraire des cellules intactes et viables. Ils vont avoir leur copie, eux aussi. »
Mu Ren courait frénétiquement d’un cercueil à l’autre ; elle tomba à genoux en sanglotant devant celui qui contenait les restes du Bricoleur. Olga reconnut la douleur d’une veuve.
« Celui que vous appelez le Bricoleur sera avec nous sur le Nouveau Monde, dit-elle de sa voix aux accents nordiques. Son âme est toujours vivante.
— Son âme ? dit Mu Ren en reniflant.
— Son essence, si tu préfères, son principe vital. L’âme-gène-A.D.N. J’ai reproduit sa personnalité génétique : l’embryon est dans cette éprouvette, expliqua Olga en éclairant une petite fiole en haut d’un râtelier. Son tempérament et ses compétences nous sont indispensables. »
Mu Ren pleurait sur l’épaule de Moïse. Il la consola.
« Le Bricoleur sera toujours présent, dit-il doucement. En comptant Junior, qui aura bientôt quatre ans, et le bébé que tu portes, plus ce surgeon, cela en fait trois. Trois Bricoleurs. »
Elle ravala ses larmes. Avec son surgeon à elle, cela faisait quatre enfants. Elle scruta pensivement le visage de Moïse. Cette lueur dans son regard était-elle bien appropriée en la circonstance ? Elle lui prit la main avec fermeté et lui demanda quels étaient ses projets.
Averti par ses expériences passées, Moïse se méfiait un peu des pouliches ; leur comportement sexuel était par trop primitif. Les hauts et les bas de leur cycle ovarien perturbaient son existence rangée et paisible. La femme auprès de lui avait été élevée, comme lui, dans une cité. Elle ne disparaîtrait pas, ni ne le chasserait lorsqu’elle entrerait dans sa phase lutéale. Et, cependant, les années qu’elle avait vécues dans le campement bronco l’avaient armée pour la vie future dans la colonie. Il mit un bras protecteur autour de ses épaules.
« Mon surgeon aura besoin de lait maternel lorsque nous serons arrivés. Et je ne vois personne à qui j’aimerais mieux le confier », dit-il.
Elle sécha ses larmes. Ils prirent Junior et se dirigèrent vers la Clinique de Suspension d’Olga. Hugh les suivait à distance, un peu gêné par la tendre scène à laquelle il avait assisté.
Olga mit en marche les dispositifs de compression d’oxygène et de congélation, tout en chantant :
Enfants d’Olga, vous pourrez en liberté
Courir, grimper et nager.
Vous goûterez la poire et le raisin.
Vous verrez l’oiseau, le poisson, le babouin,
Toutes les créatures que pour vous j’ai ramenées
Et sur un autre monde transplantées.
Enfants d’Olga, vous pourrez en liberté
Parcourir les étoiles à jamais.
Après ce qui ressembla à une courte période de suspension, les passagers d’Olga s’éveillèrent alors qu’elle se mettait en orbite autour de leur nouvelle planète. L’embarquement dans les Modules Orbite-Surface commença, des monoplaces pour les avant-postes et des engins à vaste cabine pour les colonies.
« Voici votre nouvelle demeure, dit Olga. Faune et flore terrestres y ont été ensemencées il y a 392,7 années standard. Mes sondes m’indiquent que la plupart de ces espèces se sont bien acclimatées, mais que les formes de vie indigènes prédominent encore. Vous devrez bien entendu faire preuve de discernement, mais la probabilité d’une implantation réussie est très forte. »
Le vieux Moon, toujours revêche, s’approcha de Moïse, qui attendait avec Mu Ren. Il tenait dans ses bras son bébé-surgeon. Moïse, lui, était chargé de trois rejetons en pleurs.
« Où sont les monoplaces ? » demanda Moon.
Moïse lui désigna du menton de petits boxes sur la gauche.
Moon contempla les trois nourrissons dans les bras de Moïse. Il posa négligemment le sien par terre, s’empara d’eux et les tint sous le bras, comme des sacs de son. Ils se calmèrent.
« Il faut te montrer sûr de toi, expliqua-t-il. Si tu es nerveux, ils le ressentent. L’anxiété des parents est interprétée comme un signal de danger dans toutes les espèces animales. S’il y a une chose que tu aurais dû apprendre Dehors, c’est bien la confiance en toi-même. »
Moïse sourit et récupéra sa progéniture.
« Est-ce que vous n’avez pas un peu abusé ? » dit Moon en montrant les trois petites têtes étonnées.
Moïse haussa les épaules. « Mais non. Il y a ma copie, celle de Mu Ren et celle du Bricoleur.
— Le Bricoleur… un type bien », fit Moon en passant sa langue sur ses dents en or. Il ramassa son petit et s’en alla, suivi de Dan qu’accompagnait un petit chiot pataud.
Dan-aux-crocs-d’or était bien embarrassé. Cette petite créature à quatre pattes le suivait sans cesse depuis son réveil. Il avait essayé de grogner, mais cela n’y avait rien fait. La queue du chiot battit trois fois. Cela ranima en lui de très vieux souvenirs. Il le lécha si vigoureusement que le petit en fut renversé.
Moon les poussa tous deux dans le module et referma l’écoutille.
L’acromégalique obstruait le point de contrôle.
« Spécialité ? lui demanda le tourniquet.
— Guérisseur. Mais je n’ai pas pratiqué depuis… » Il montra ses larges mains maladroites.
« Ta tumeur pituitaire a été résorbée par pyrothérapie, à Dundas. Ce que tu peux faire aujourd’hui, tu vas pouvoir le faire des années durant ! Ton état va aller en s’améliorant. Ainsi, tu es Guérisseur ! J’aimerais t’affecter à la colonie où vont se trouver Moïse et Mu Ren. Cela te convient-il ? »
L’acromégalique acquiesça. Il put voir, à la démarche en canard de Mu Ren et à ses grimaces de douleur, que sa première tâche serait d’aider à un accouchement. Il prit son propre enfant sur son épaule et s’approcha de Moïse en souriant.
Quand le Module Orbite-Surface de Moon entra dans l’atmosphère, il aperçut en dessous de lui celui de Moïse, chargé d’un grand nombre de passagers.
« Sacré bon sang ! jura-t-il, on devrait aller chacun de son côté. Avec des villes déjà toutes prêtes au départ, on ne fera que hâter l’avance de la civilisation ! »
La voix douce, et assurée d’Olga s’éleva : « Un minimum de civilisation est nécessaire à votre survie. Les conditions de vie sur cette planète sont un peu plus dures que sur la Terre.
— C’est payer trop cher notre survie », maugréa Moon. Il le pensait vraiment.
Dan et lui écrasaient leurs nez contre le hublot. Les continents et les océans ressemblaient assez à ceux de leur planète. Il y avait davantage de montagnes, et elles étaient plus jeunes, moins érodées. D’étranges taches rondes déparaient les plaines, comme des traces de météorites. Des archipels à la végétation luxuriante, voilés de brume, pommelaient l’océan. Il sourit. Il faudrait plusieurs générations avant que les différentes colonies soient reliées par des moyens de transport.
Le M.O.S. de Moïse se posa sur un estuaire. Il faisait nuit, mais, lors d’un précédent passage, ils avaient remarqué des champs de blé prometteurs et des troupeaux d’ongulés. Les colons étaient pleins d’optimisme.
Mu Ren accoucha. L’acromégalique éleva le nouveau-né ridé et humide entre ses mains et lui donna la tape rituelle. Mu Ren l’allaita, et Moïse accompagna l’acromégalique dans sa tournée médicale. Willie le Simple était assis auprès d’une jeune pouliche. Son visage était entouré de pansements. Olga l’avait délivré des épaisses cicatrices qui barraient sa face et de celles qui bloquaient les molécules de sa mémoire. En voyant Moïse, il sourit ; son sourire était symétrique, son regard clair.
« Olga a fait sauter mes blocages mentaux, dit-il avec enthousiasme. Mon trophée provenait d’un chasseur, celui-là même qui m’avait coupé les orteils. Je le revois, menaçant de m’ôter ce qui faisait de moi un homme : mon cinquième orteil. La R.M. avait embrouillé mes souvenirs en ce qui concernait ma compagne et ses petits aux cheveux jaunes. À présent, je sais que j’avais réussi à anéantir tous les chasseurs. Miel, ma pouliche, n’était que blessée à la jambe, et avait pu s’enfuir. Elle s’est trouvé un autre partenaire maintenant, j’imagine. »
Moïse sourit, tandis que le guérisseur enlevait les pansements de Willie. On pouvait faire confiance à une pouliche pour trouver un partenaire tant qu’il y aurait des hommes disponibles. Il étudia la nouvelle compagne de Willie : des cheveux réglisse et des yeux vert menthe… pour le moins, la seconde plus belle chose au monde… n’importe quel monde.
Moïse Eppendorff partit rejoindre Mu Ren et ses cinq enfants.
Le M.O.S. de Moon fit plusieurs fois le tour du globe avant de se poser au milieu d’une verte clairière, dans la montagne. Les chèvres qui y broutaient ne furent pas effrayées par l’apparition de Moon et de Dan. Un faucon d’une espèce inconnue, au plumage brillant, décrivit un cercle de reconnaissance, très haut au-dessus d’eux. Puis il descendit en piqué, jusqu’à effleurer leur tête.
« Par Olga ! c’est le jardin d’Eden ! » s’exclama Moon ; et, chose rare, il sourit. Avisant un pis bien gonflé, il prit le biberon du petit Moon et s’avança vers la « Nourrice ». Le biberon fut vite rempli. Petit Dan eut même droit à sa part.
En se grattant la tête, Moon marmonna : « Comment cela peut-il s’expliquer ? »
En l’entendant, les chèvres vinrent vers lui.
Soudain, une voix l’appela, en provenance d’un bouquet de saules terrestres. Moon grogna et ramassa un bâton. Suivi de Dan, il se dirigea vers les arbres. Ils traversèrent un torrent glacé sur des pierres glissantes.
« Je croyais que je devais être seul dans cet avant-poste… »
Il vit un objet qu’il connaissait bien. Un cyberjavelot, une des sondes détachées par Olga, planté dans la terre meuble et entouré de plantes grimpantes.
« Je suis un robot de compagnie, fait pour être porté. Ramasse moi », dit le cyber.
Moon sourit et lâcha la branche noueuse dont il s’était muni.
« Je sais, dit-il en le dégageant. À quoi t’es-tu occupé pendant toutes ces années ?
— À veiller sur ta nouvelle demeure, et à te faire des amis. Ces chèvres se sont habituées à la voix humaine. Bienvenue sur Tiercelet, le pays des faucons.
— Merci pour ton accueil », dit Moon. Il regarda Dan et le chiot qui gambadaient parmi les chèvres folâtres.
Ensuite, il s’assit dans l’herbe, adossé au M.O.S., et cala ses pieds sur le dos musculeux et couturé de Dan. Une chèvre vint brouter dans sa main. Il se tourna vers le cyberjavelot et ajouta : « Et merci pour les amis que tu m’as faits. L’homme a besoin d’avoir de nombreux amis, dans la mesure où ils ne sont pas de son espèce. »
Là-bas, sur la Terre, Gitar poursuivait ses incursions dans la fourmilière, utilisant l’effet I.T.A.R. pour attirer les hétérozygotes. Les derniers jours de Walter dans le temple furent idylliques : il servait Olga. Quand il mourut, Gitar prit soin d’entreposer son âme-gène-A.D.N. dans un cube-trophée. Walter savait qu’Olga lui rendrait vie, à son prochain retour. Sa copie génétique serait un jour auprès de la déesse.
Val vécut assez d’années
Pour voir trois générations de sa lignée
S’égailler sur la Terre
Et au fond des mers.
Gitar enrichit leur culture de ses chants :
Ils étaient les descendants valeureux du Prince Vaillant.
Le Néchiffe en un nabot obèse se mua.
Ses os étaient friables comme craie.
De Peau de rose dans ses veines coulait.
Ses gonades anémiques ne fournirent aucun Bronco à Olga.
Dans des embarcations à rames, les cinq-orteils coururent les mers et s’essaimèrent sur les îles et les continents.
Quand leur nombre s’accrut revinrent les chasseurs.
La Grande S.T. se battit pour survivre.
Gitar dit alors que d’Olga venait l’heure.
Olga revient toujours sur Terre
Quand les Broncos encombrent la fourmilière.